La crise du COVID 19 nous est tombée dessus brutalement ; au milieu de notre voyage, nous suivions l’actualité française de loin mais nous nous sentions préservés des agitations du monde.
Libres comme le vent, nous apprivoisions progressivement cette nouvelle relation à l’espace et au temps : l’horizon nous appartenait, le temps s’écoulait différemment.
Notre calendrier était conditionné par les grandes étapes du voyage, et notre énergie tendue vers celle d’après :
Novembre - le Sénégal et le Sine Saloum
Décembre – transat aller
Noël – de « l’autre côté »
Janvier, Février – Petites Antilles
Mars, Avril – Grandes Antilles
Mai - transat retour
Juin – Açores
Au milieu de ces jalons posés rapidement, nous naviguions à vue, entre les rendez-vous avec les copains ou la famille qui accéléraient notre parcours, ou les coups de cœurs pour des mouillages qui nous retenaient 10 jours au même endroit.
Difficile d’apprivoiser le temps pendant cette année « sabbatique » : profiter de chaque instant et ralentir le rythme, ou en profiter pour en faire le plus possible ? Apprécier les traversées ou souhaiter arriver rapidement?
Pour ma part, ce n’est qu’en février que j’ai réellement commencé à mesurer le temps « restant » et que j’ai commencé à ressentir une forme d’urgence : la nécessité de profiter à fond du voyage.
J’avais à peine réalisé que nous étions à la moitié du périple quand nous avons compris que le confinement nous concernerait également. Le temps s’arrête. Et les mois de notre voyage continuent de défiler.
Nous étions en France, en Guadeloupe, à préparer par Whatsapp avec Damien et Juanita notre venue chez eux, en République Dominicaine.
Interdiction de naviguer, frontières fermées, interdiction de nous baigner, de nous déplacer en paddle… Tous les jours nous apprenions de nouvelles mesures restrictives… Le confinement était bien mondial, et nous nous le prenions en pleine figure ! Le voyage changeait de visage…
Mais Jérôme vous en avait parlé dans notre précédent post !
En dehors de la mise en pause du voyage, il nous fallait gérer le confinement sur le bateau…
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Et le confinement sur des eaux turquoises n’en est pas moins un confinement pour autant… Sur un voilier, impossible de transformer la table de salle à manger en table de ping pong, on n’a pas d’endroit pour s’isoler et nous sommes soumis aux contraintes du mouillage : roulis, coups de vent, autonomie en énergie…
Alors c’est vrai qu’on avait un temps d’avance sur ce que vous avez vécu et découvert pendant ces 2 mois !! Malgré la distance et le cadre de vie, ce confinement nous rapproche de vous, de ce que nous avons choisi de vivre depuis 8 mois. C'est drôle de réaliser qu'une partie de notre expérience de cette année a été partagée par grand nombre d'entre vous !
Vivre à 6, 24h/24, accompagner nos enfants dans leur scolarité, faire 6x4x7 repas par semaine, gérer les ressources (aliments, eau et électricité) dans un contexte contraint... et se concentrer sur l'essentiel : la relation.
Apprivoiser le temps : les rituels
Dès le début du voyage, il nous a semblé essentiel de structurer le temps avec des rituels. Marquer l’alternance semaine / week-end : pas d’école le week-end, messe tous les dimanches (même en mer ! avec une petite célébration familiale).
L’Eglise nous propose des temps forts liturgiques qui ont aussi l’avantage de marquer les saisons quand on n’a plus de repères et qu’on est en maillot toute l’année : la fête de la Toussaint, l’Avent et la préparation de Noël, le Carême et le temps Pascal…
Pendant les traversées, les rituels structuraient notre journée et faisaient le ciment de notre vie collective. Chacun sait qu’un temps familial succédera à un temps de jeux calmes, ou qu’un temps de repos viendra après la veillée !
Pendant le confinement nous avons donc maintenu le rythme de l’école tous les matins, des week-end au repos, et des dimanches tournés vers le Seigneur ; ressourcement et retour à la source avant de reprendre le rythme du quotidien.
Être en lien et se soutenir
Ce confinement a renforcé le repli sur nos communautés, nos réseaux… le nôtre c’est celui des gens de mer, des gens de voyage, des manouches des Caraïbes. Sans autre choix que de rester sur nos bateaux, souvent rejetés par les populations des îles sur lesquelles nous étions réfugiés (l’autre revers du repli sur soi…), les groupes WhatsApp ou Facebook se sont activés pour se refiler les consignes officielles obtenues lors de la visite des Affaires maritimes ou de la Marine Nationale, les bons plans : les mouillages où on ne nous demandait pas de partir immédiatement, les endroits où on trouvait encore du gaz, les endroits où on pouvait prendre de l’eau…
Dans notre mouillage, devant la ville de Bouillante à la pointe de Malendure, les annexes allaient chaque jour d’un bateau à l’autre pour discuter « au cul » du bateau et échanger les dernières nouvelles. Nous avons ainsi trouvé du gaz, réparé un frigo, démonté à 4 mains le moteur d’annexe… On partageait aussi nos coups de cafard, nos angoisses, nos remises en question et nos choix difficile, avec l’humilité et la sincérité qui caractérise les rencontres sur l’eau (voir à ce sujet l’excellent article de nos amis de Boomerang sur les bateaux copains et les rencontres en voyage !).
Chaque soir à 19h sur la VHF, le « concours de blagues du mouillage de Malendure » faisait hurler de rire tous les bateaux ; blagues en français traduites en anglais ou vice versa, avec les jeux de mots ça valait le détour !
Mais ce confinement en Guadeloupe nous a également permis de joindre facilement nos parents et nos proches en France ; nous n’avons jamais autant téléphoné à nos parents que pendant ce temps de confinement ! Nous nous sentions bien impuissants face au désarroi que vous viviez en France, et partager ces heures au téléphone ont été de vrais cadeaux pour nous. Finalement nous étions aussi proches de Belle-île ou de Lille que si nous avions été en région parisienne…
Gérer l’école
Ça on sait faire.
Euh…
Enfin, on avait commencé avant le 15 mars !
Nous avons gardé le rythme de l'école à bord tous les matins, au bout de 8 mois nous connaissons un peu mieux les limites de nos enfants, et les nôtres...
Maintenant que le monde entier est confronté au home schooling, on peut vous le dire : Ce n'est pas parce qu'on l'a choisi que c'est plus facile !
Certaines journées d'école ont été extrêmement difficiles, pour tout le monde. Et dans un espace très réduit (12m2 pour installer 4 enfants, faire la vaisselle du petit déj et préparer le déj, réparer le frigo…), quand c’est « extrêmement difficile » ça crie, ça pleure… et il n’y a pas beaucoup de sas pour évacuer la tension… On vous passe les détails.
Alors comme on aime les défis, pendant le confinement on a même annulé les vacances scolaires (ce qui a donné lieu à une révolte sourde des moussaillons) !
Cela nous permettait de garder un rythme, à défaut de pouvoir partir en excursion, et c’était toujours ça de pris au cas où le voyage pourrait reprendre aux Acores.
Petit à petit, les matinées de travail se sont apaisées. Non, les enfants ne sont pas plus obéissants, ni concentrés ; les exercices ne sont pas plus faciles ou les parents plus patients Ce sont nos relations qui se sont apaisées. Il y a moins d’enjeux dans ces temps de travail : comme si chacun avait accepté sa part d’imperfection (et oui), parents et enfants.
Nos enfants hypersensibles nous ont appris (ou rappelé) que la relation est première.
Pour Joseph, cela signifiait nous faire un câlin dès qu’il sentait que la pression montait (peur de nous décevoir, de ne pas être à la hauteur, découragement, envie de rejoindre son frère…). Il venait se recharger dans nos bras, parfois toutes les 2mn…
Petit challenge du confinement... 5 coupes en moins de 2h !
L’autonomie
Le confinement sur un bateau c’est aussi ne pas pouvoir accéder à des marinas pour faire les pleins d’eau ou de gazole, et limiter les trajets à terre au maximum. Surtout que pendant nos deux premières semaines aux îlets Pigeon dans la réserve Cousteau, notre moteur d’annexe ne voulait pas démarrer ! Jérôme traversait alors la baie en optimist, chargé des poubelles à l’aller, et de produits frais au retour !
En termes d’énergie, nous disposons de 4 panneaux solaires et d’une éolienne. Cela nous fournit donc l’électricité…. quand il y a du vent, et que le ciel n’est pas couvert ! Les premières semaines du confinement nous avons eu beaucoup de pluie, et les batteries ne chargaient pas ! En revanche, disposer les seaux et bassines ça et là sur le pont pour récupérer l’eau de pluie a beaucoup occupé les enfants… Pour recharger les batteries et avoir un peu d’éléctricité pour le frigo, une lumière le soir, et charger nos téléphones ou ordis, nous devions démarrer le moteur et le faire tourner 1h environ.
Pour recharger nos cuves d’eau, le maire de la commune de Bouillante avait fermé les robinets d’eau utilisés par les plaisanciers… Un restaurateur de Malendure nous a proposé de remplir quelques bidons en échange d’une commande de plats à emporter… Quelle joie de recevoir après une journée pluvieuse, livrés « à domicile » par Romain du bateau Kaloni, des poulets-frites !! Puis nous avons pu remplir nos bidons aux douches de plage : c’était l’occasion de la sortie du jour : musculation, douches et barrages dans le sable… plus de 1000L transportés en 1 mois !
En cuisine, c’est sûr que la créativité est de mise, nous avions déjà appris depuis le début du voyage à cuisiner en fonction de ce dont nous disposions et non en fonction de nos envies ! Les boites de corned beef n’ont plus de secrets pour nous !
Et enfin, l’autonomie c’est aussi gérer ses déchets ; mesurer que chaque poubelle qui se remplit doit être stockée quelque part sur le bateau… Nous avions déjà changé beaucoup nos habitudes de consommation (savon, produits ménagers, emballages), mais réduire ses déchets est aussi un luxe quand le tri n’est pas mis en place dans la commune et que les magasins ne proposent pas d’alternative aux emballages plastiques…
Et après ?
Nous sommes donc en période de « déconfinement ».
Ici entre les îles françaises les consignes sont floues. On doit faire des quarantaines entre les îles. On n’a pas le droit de naviguer. Les insulaires ne veulent pas de nous.
L’accueil à la capitale de Saint Barth Gustavia le 12 mai était glacial, voire agressif. Avec nos amis d’Elora, on a entendu : « Qu’est-ce que vous faites là ? » « Vous venez d’où ? » « Mais même après 40 jours de mer il faut faire une quarantaine !» par la pharmacienne, un badeau dans la rue ou un cadre de la capitainerie.
Nous aurons donc passé les 6 premières semaines en Guadeloupe, à Malendure (2 aux îlets Pigeon et 4 devant la plage de Malendure juste en face). Les bateaux copains ont permis à chacun de se défouler, à défaut d’avoir le droit de courir sur la plage, les enfants se retrouvaient sur l’eau à coup de paddle… entre deux passages d’hélico ou de vedettes de la gendarmerie… Nous avons retrouvé des bateaux rencontrés pendant le voyage à Mindelo ou Tobago (Boomerang, Kaloni, Danton, Utopie) mais aussi fait de belles rencontres de confinement (Duc In Altum, Tacum, Pegasus…).
Le premier mois a été difficile pour le moral ; comme pour vous avec les journaux, l’apport chaque jour de micro-informations changeait la suite du programme : un jour c’est un message de la capitainerie du port d’Horta, aux Acores, partagée sur le groupe whatsapp des voiliers du mouillage, qui nous dit que les mesures pour les plaisanciers arrivant après une transat vont se durcir… Devant le risque sanitaire et l’impossibilité de faire venir des équipiers de Métropole, des bateaux prenaient la décision d’arrêter leur voyage et de mettre leur bateau en cargo.
Et nous ? Que devions-nous faire ? Partir tout de suite, rentrer en France ? Mettre le bateau à l’abri pour la saison cyclonique, rentrer en avion et revenir le chercher l’an prochain ? Nous nous sentions pris au piège.
Ma plus grande angoisse au début était d’enchainer 2 mois de confinement sur 20 jours de mer ; j’avais l’impression que les enfants allaient utiliser toutes les ressources prévues pour la vie en traversée : bouquins, jeux à bord, bricolages…
Le 28 avril nous avons repris la mer pour défroisser les voiles et vérifier qu’on savait toujours naviguer !
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Après 18h de navigation, nous sommes arrivés à St Barth et avons retrouvé Jacotte et Anemo, fait la connaissance d’Elora ; accueillis par une annexe de moussaillons de 7 à 14 ans qui proposaient à nos garçons d’aller jouer sur la plage, l’ambiance était bien différente ! Quel bonheur de pouvoir enfin courir, jouer sur la plage !
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Baptiste a trouvé en Bäo et Malo deux compères de son âge, rejoint après par Antoine et Adrien de Sirius (un bateau de Voiles Sans Frontières que nous avions rencontré avant notre départ). Suivait ensuite la bande des 2009 pour Calixte : Théa et Enja qui ont invité tous les enfants du mouillage à une merveilleuse chasse au trésor pour leurs anniversaires qu’elles avaient fêté en mer, ainsi qu’Emma d’Anemo.
Joseph avait son compère également, Maé, avec qui il passait des heures à faire des jeux dans le sable et, également Morgane ! Théophile suivait toute la bande qui finissait ses journées à faire des parties géantes de poule/renard/vipère…
Après l’école, les « grands » partaient faire du bodyboard sur la plage des Flamands à 20mn à pied. On sortait l’optimist et les planches à voile, et Calixte, après une matinée à essayer la planche à voile de Théa et à boire courageusement la tasse, a finalement été pris en main par Pierre d’Anemo et sa planche gonflable, ce qui lui a permis de faire ses premiers bords ! Quelle fierté, quelle joie dans son regard !
Et maintenant ?
Mais il est temps d’avancer et de regarder les prochains créneaux pour partir en transat. Les nouvelles des Açores qui déconfinent en plusieurs phases nous permettent d’espérer qu’à la prochaine étape, le 1er juin, un changement pourrait nous permettre de débarquer (aujourd’hui aux Acores, les bateaux arrivant de transat peuvent s’abriter dans le port et se faire ravitailler en eau, essence et nourriture, sans sortir du ponton).
Une fenêtre météo se dessine pour le 16 mai, avec un beau temps pour traverser l’Atlantique. Nous décidons donc de quitter le 13 mai l’anse de Colombier, ses tortues, sa grande plage et nos amis pour passer 2 nuits sur l’île Fourchue, avant de nous diriger à St Martin pour un dernier plein avant de partir…
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Mais l’île Fourchue est sauvage, sans aucune construction. Nous retrouvons les grands espaces et crapahutons entre les cactus et les ronces. On fait le plein de sommets avant de surfer sur la crête des vagues !
Les amis de Colombier nous rejoignent, on fait des barbecue et des grandes balades… Pourquoi partir ? L’incertitude de l’accueil aux Açores nous permet de penser que cette transat pourrait marquer aussi la fin du voyage…
Nous apprivoisons à nouveau les grands espaces, la liberté de décider de notre programme, le choix de prendre le temps de profiter de cette aventure extraordinaire.
Pourquoi partir ? Les enfants sont tellement heureux de retrouver les grands espaces et les amis, de s'installer un campement avec des hamacs, d'aller tutoyer les poissons…
Pourquoi partir ? Si on regarde de plus près le calendrier... et que les Açores ne nous permettent pas de les découvrir... Partir maintenant cela pourrait signifier se retrouver en France mi-juin ?
Pourquoi partir ? Nous sommes tellement frustrés que cette crise mondiale nous ait volé 2 mois du voyage que nous préparions depuis des années...
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Alors...
On reste encore un peu ! Nous laissons passer cette fenêtre météo en sachant que d’autres se profilent d’ici 10 jours.
D’ici là, on va en profiter pour faire le plein de liberté, de grands espaces et de souvenirs !!
Mais ne vous inquiétez pas, nous avons bien prévu de revenir…
Coucou !! Ouah !!! Quel article ! Tout est dit, c’est tellement ça !
Humour, questionnements, plaisirs partagés, rêve...ça nous fait tout drôle vu d’ici, on se dit qu’on aimerait bien vous retrouver là, tout de suite...mais on est en route pour Brest, on récupère Boomerang au cargo.
Hâte de vous revoir tous! En attendant, profitez bien, et jusqu’à la dernière goute !
Formidable! Quelle chance et quelle bonne idée de profiter encore un peu de ces moments si précieux
... fondateurs pour votre famille, pour la fratrie aussi! Merci aussi pour le partage des vos questionnements et tergiversations ça nous donne l’impression d’être près de vous! Plein de bises