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17. Notre transat

Photo du rédacteur: BénédicteBénédicte

Dernière mise à jour : 8 avr. 2020

Partis de Mindelo (Cap Vert) le 9 décembre - Arrivés à Tobago le 22 décembre !


Et oui , ça y est, nous arrivons au dernier jour de notre transat. Plus que quelques heures et nous découvrirons Tobago. Nous avons traversé l’Atlantique ! Nous avons passé deux semaines en mer… et que peut-on en dire ? Comment vous les partager ?


Ca y est, nous avons vécu notre transat. C'est quand même "un truc de fou", un sacré défi, une expérience unique...


La navigation


Commençons par le plus objectif, les conditions de navigation. Nous savions que nous partions avec du vent, (plus ou moins 20 nœuds, selon les prévisions météos chargées au Cap Vert). La grande inconnue était : la forme de la mer !

Quand on traverse l’Atlantique dans ce sens, on se cale sur le régime des alizés, des vents de Nord Est puis d’Est soufflant des Canaries aux Antilles, de novembre à avril.

Le vent souffle donc sans s’arrêter déjà au Cap Vert, la houle suit le vent, mais elle peut être plus ou moins courte, plus ou moins haute, plus ou moins hachée, plus ou moins rangée…

A notre grande surprise, une fois passés les effets de côtes des îles de Sao Vicente et Sao Antao, la mer est belle ; pas forcément très régulière, pas plate du tout, mais notre fier destrier Spica fend les crêtes et brave les obstacles avec bonhommie, sans taper dans les vagues ! C’est la première navigation depuis notre départ où les mouvements du bateau, même s’ils sont incessants, sont relativement doux.


Le vent aura été assez régulier jusqu’au bout, mais bien au-delà de ce qui était annoncé. Nous aurons rarement moins de 20 nœuds*, plutôt 25 nœuds établis !


Après un départ prudent avec le solent (voile d’avant plus petite que le génois) et 3 ris dans la GV, nous sortons le génois le deuxième jour pour nous mettre en ciseau (c’est-à-dire une voile de chaque côté : la grand’voile à babord, le génois à tribord maintenu par un tangon = barre en métal longue de 3m).

Le ciseau, tout un art !

Cette allure nous permet d’avancer avec le vent derrière nous à un angle de 160 à 170 degrés. En fonction de l’évolution du vent, nous adaptons notre voilure pour ne pas solliciter trop le bateau, en roulant ou déroulant du génois.


Le temps est couvert les premiers jours, ce qui est en fait appréciable car quand le soleil se montre il est assez agressif ! Le matin, le cockpit* est en plein soleil et nous cherchons l’ombre, sur la jupe en nous trempant les pieds dans l’eau, sous la capote… A partir de 13h, la grand’voile met le cockpit à l’abri des rayons du soleil !



Regarder le va et viens des vagues et se laisser éclabousser...

Au fur et à mesure, l’air se réchauffe, nous sortons les maillots de bain et apprécions d’être rafraichis par des petites averses… Ce ne sont que les derniers jours que les averses deviendront plus envahissantes, en interrompant régulièrement nos déjeuners et nos dîners que nous aimons prendre à l’extérieur !


La vie à bord


Tous les gestes du quotidien sont différents pour s’adapter à l’environnement mouvant !!

Préparer les repas à l’extérieur en jetant ses épluchures par-dessus bord, dormir en étant roulé à gauche et à droite, s’habiller assis pour ne pas tomber, tenir son bol pour éviter qu’il ne se renverse, se laver les dents en position de surfeur …


La vie à bord se structure autour des quarts*, du soleil (et de la lune que nous avons eu belle pendant une bonne partie de la traversée !), et des repas ! Les repas sont les seuls moments où nous sommes tous les 6 et nous en profitons !



En effet, nous ne sommes pas les uns sur les autres en permanence ; malgré la surface limitée, les espaces sont nombreux pour varier les activités :

  • Partie de legos ou de « plus plus » dans la cabine avant

  • Partie de playmo sur la couchette de Joseph

  • Coloriage géant, bricolages de Noël, origamis sur la grande table du carré

  • Lancer de petites voitures sur la table, courses pimentées par la gite et les vagues !

  • Lectures un peu partout, allongé dans son lit ou dans le cockpit,

  • Partie de « Piratatak », de « Batawaf » et autres jeux de cartes dans la cabine arrière avec maman

  • Rafraichissement sur la jupe, (à l’arrière du bateau), accrochés avec une longe et les pieds dans l’eau, à regarder les énoooooormes vagues

  • Ecoute d’histoires de Tintin, de podcasts « Les Odyssées de France Inter », de contes et d’histoires, d'Emilie Jolie, de musique, avec l’enceinte waterproof de Calixte qu’on place dans le cockpit et qu’on entend depuis les cabines arrières (cabines de Baptiste et des parents)

  • Préparation des repas, dans la cuisine ou le cockpit

  • Séance coiffeur sur la jupe*



Baptiste du haut de ses 13 ans se confirme être un équipier sur lequel nous pouvons compter, et il prend chaque soir le quart de 21h à minuit (Jérôme dormant dans le carré, près à venir donner un conseil si nécessaire !) ! Il réveille son père à minuit, et Jérôme prend le relais jusque 3h du matin... Puis c'est à mont tour, j'essaye de tenir jusqu'au lever du soleil avant d'aller me coucher vers 7h. Jérôme reprend le bateau en main, et accueille au compte goutte les enfants qui se lève, prépare le petit déj' et met la journée en route en organisant un petit décrassage avec les garçons ! En effet à bord nous ne faisons pas beaucoup d'exercice ; avec la gite et les mouvements nous ne sommes bien que confortablement calés sur des coussins, ou allongés, ou "vautrés"... Nous manœuvrons assez peu, nos muscles sont rouillés !

Jérôme et moi prenons la barre quelques heures dans la journée pour soulager le pilote automatique (ou plutôt les batteries !), ce qui nous permet de nous dégourdir les jambes en restant debout derrière la barre et en résistant aux vagues !



Calixte prend des quarts pendant la journée et nous soulage bien pour nous permettre de nous reposer à tour de rôle et récupérer un peu de sommeil. Finalement, tout le monde aura plutôt bien géré, nous n'aurons eu aucune hallucination ! et nous arrivons à Tobago en forme...



Le bateau accélère, le temps ralentit


La magie de la traversée opère rapidement.

En haute mer, nous sommes comme en plein désert ; nous ne rencontrons aucun cétacée, très peu d’oiseaux. Nos compagnons quotidiens sont les poissons volants, et tous les matins un enfant est chargé de faire le tour du bateau pour ramasser les pauvres poissons qui se sont échoués sur le pont pendant la nuit !


Icare a encore raté son coup


Ces animaux sont fascinants, ils ont des ailes légèrement argentées et pliées en éventail, comme des dinosaures, ce qui leur permet de voler au dessus des vagues pendants plusieurs dizaines de mètres !


Il n’y a plus que nous, les vagues, et le ciel. Quelle chance d’observer les étoiles en famille, tous allongés dans le cockpit, à découvrir de nouvelles constellations ! Même Théophile sait identifier la ceinture d’Orion, et nous savons tous retrouver Aldebaran, Sirius, Capella, les Pleïades…


Nous chantons sous les étoiles tous les soirs, et des binômes se relaient pour nous proposer des petites veillées avec des sketchs ! Merci au parrain de Calixte pour le carnet de chant SUF !



Le temps s’écoule lentement, et nous prenons son rythme



Baptiste aura lu l’intégrale d’Alexandre Dumas et découvert Mérimée ; Calixte relu les 5 premiers tomes d’Harry Potter et Béné l’intégrale de Sherlock Holmes entre quelques ouvrages de systémie ; Jérôme aura passé ses quarts avec Kessel, Hemingway et « L’archipel français » de Jérôme Fourquet, Joseph persévéré dans la Comtesse de Ségur…


La lune monte, croit, puis décroit… Les quarts de nuit à observer les étoiles et à écouter les vagues sont uniques.



Nous mesurons notre avancée ; chaque jour lors du déjeuner les paris sont ouverts pour deviner au mille près la distance parcourue les dernières 24h ! Et nous marquons nos coordonnées GPS sur la grande carte marine affichée dans le carré…



C’est un peu décourageant au début de nous imaginer si petit sur cette immensité, et si loin du but ! Alors le passage des 1000 milles nautiques (sur les 2080 milles à parcourir) marque un tournant ! Nous fêtons ça avec un gâteau au choc !


Il faut avouer que cuisiner à bord n’est pas si simple ; ça bouge, c’est une évidence, ça bouge même beaucoup ! Il faut anticiper les mouvements des vagues (qui ne sont pas du tout disciplinées !) et être vigilants à ne rien laisser sans cale sur une surface sinon… le taboulé, les lentilles, ou la casserole de pâtes… reprennent leur liberté ! Pourtant la tambouille est essentiel pour le moral des troupes (comme dirait mon père), alors nous devons trouver des mets variés et rapides à préparer… Heureusement les fruits et légumes frais trouvés à Mindelo permettent à Calixte de nous préparer des salades presque tous les midis, de varier les plaisirs des desserts entre bananes, pommes, oranges, pastèques… et les fameux yaourts ultra longue conservation. Nous avions anticipé l’avitaillement de la transat depuis l’Espagne et les cales sont encore bien pleines, alors entre le chili con carne, les pâtes bolognaises, la semoule – ratatouille, le taboulé maison, le petit salé aux lentilles, les omelettes au fromage… nous n’avons pas trop mal mangé !




Mais surtout, surtout…. Nous comptions sur le fruit de nos pêches, et nous avons été gâtés !

A chaque fois que nous avons déroulé la ligne derrière le bateau, nous avons attrapé une énorme dorade coryphène !

Quand le moulinet commence à chanter, le cockpit se remplit de frénésie, Jérôme sort de sa sieste en trombe, on essaye de ralentir le bateau et de remonter la ligne, et après quelques minutes de suspense insoutenable, quelle joie de voir un énorme poisson jaune vert se dandiner derrière Spica !




Baptisées F82 et G94, en raison de leur rang dans notre tableau de pêche et de leur taille (en cm), elles nous ont fourni 6 repas ! C’est Jérôme qui s’attèle à la capture (une fois qu’elles sont à 1m du bateau, il faut remonter à bord 5kg qui se débattent… elles sont costauds quand même !) ; puis il les vide et les prépare… au lait de coco, marinées au citron, meunières… Malgré les insistances des enfants pour mettre la ligne tous les matins, nous devions vérifier les stocks avant d’accepter la perspective d’une nouvelle prise !


Et les quarts s’enchainent… Le paysage ne varie pas trop, le soleil se couche toujours devant l’étrave…

Quand je trouve que le soleil est bien long à se lever, je propose de changer d’heure dans la journée, pour éviter le changement d’heure que j’avais eu à faire dans mon quart entre l’Espagne et le Portugal, ce qui m’avait coûté une heure de veille de plus !


Ca aussi c’est bon pour le moral, changer d’heure nous rapproche de l’heure antillaise !!!



Et nous avançons vers Tobago en même temps que nous avançons vers Noël ! Le calendrier de l’avent, la couronne (avec des bougies et des flammes en papier ! ), la crèche dans le cockpit, les angelus chantés tous les midis en guise de bénédicité, les dimanches que nous marquons avec une petite célébration nous accompagnent dans ce temps de l’attente qui prend tout son sens dans cette traversée.


La perspective de passer Noël à terre devient de plus en plus crédible… Et enfin, nous apercevons les côtes, une île sous les nuages, c’est Tobago !






Quelques chiffres


13 jours 6 heures de traversée

2153 milles parcourus

2090 milles distance sur orthodromie (route la plus courte sur la mappemonde entre le point de départ et le point d’arrivée)

6,8kts de vitesse moyenne

65 quarts de nuit

9 empannages

2 dorades coryphènes pour 2 tentatives de pêche (100% de réussite)

0 casse de matériel



Petit glossaire

*cockpit : espace extérieur à l’arrière du bateau, autour de la barre et derrière une capote qui nous protège du vent et des vagues

*jupe : espace à l’arrière du bateau, derrière le cockpit, avec quelques marches qui donnent un accès à l’eau.

*mille nautique (NM pour nautical miles): unité utilisée pour mesurer les distances en mer, 1 mille nautique = 1 minute de latitude = 1852m (ne pas confondre avec les miles américains !)

*nœuds (KN pour knots) : vitesse exprimée en milles nautiques par heure ; donc 1 nœud = 1 mille nautique/h = 1,8km/h

*quart : fraction de temps pendant un équipier est en charge de la sécurité du bateau et son fonctionnement : surveiller la navigation, le bon réglage du cap ou des voiles ou les bateaux alentours...

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6 Comments


Maximilien Andrieu d'Iray
Jan 07, 2020

Coucou les amis, c'est Dorota qui usurpe l'accès de Maxi pour vous féliciter, vous congratuler, vous dire toute notre joie de vous savoir de l'autre coté safe et sans souci!! Bénédicte j'en ai même les larmes aux yeux de lire tes descriptions et d'imaginer votre vie à bord. Quelle expérience familiale intense! Vous avez l'air si zen et si cool!! Nous vous souhaitons une merveilleuse nouvelle année qui va encore continuer un long moment sur les flots. Profitez bien , savourez bien cette parenthèse inouïe! Nous vous embrassons bien fort, avec une pensée toute spéciale pour notre super Baptiste!!

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Vendredi
Jan 07, 2020

Bravo Béné pour ta belle prose, à la fois pédagogique et poétique. On s'y croit ! Superbe aventure. Clin d'oeil en particulier sur l'excellent choix des podcasts: on vient de se mettre aussi aux Odyssées de France Inter (et Oli pour les plus petits). Et évidemment, chapeau bas pour les dorades... Une déception : je croyais que Jérôme ne lisait que des livres sur les moteurs de bateau. Le mythe s'écroule.

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Pascale
Jan 07, 2020

Merci pour ces partages de vos aventures. J'en suis profondément émue à chaque fois. Vos mots nous touchent et nous emmènent loin. Je vous embrasse très affectueusement

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Les ia orana
Jan 06, 2020

Bravo pour cette transat rondement menée! 13j dites donc, chapeau!! j'ai compté sur mes doigts le nb de quarts que j'avais fait en plus, bouh!! Et j'ai aussi compté sur mes doigts que tu faisais 1h de + que tout le monde, haha!

Félicitations pour ce récit qui - je pense - n'est qu'une infime fenêtre sur ce que vous avez vraiment vécu. Bravo! Maintenant les vacances!!

Nous avons passé le réveillon avec les Sea You, une autre occasion de penser à vous. Profitez-bien bien bien bien bien.

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capuciner
Jan 06, 2020

On est toujours très content de vous suivre et d avoir « enfin » le récit de la transat!

Bravo c est génial! On vous souhaite une belle année familiale unique.

On pense bien à vous!

Thibault et Capucine

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