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Après 6 jours de navigation, un peu chahutés par la houle courte et un vent qui ne nous laissait aucun répit la nuit, nous sommes heureux de voir au loin les premiers bâtiments blancs de Dakar. C’est Baptiste et ses yeux de lynx qui les voient, 12milles avant la côte (plus de 20km). Nous apercevions déjà depuis quelques heures quelques pirogues, très basses sur l’eau et très difficilement repérables dans la houle…
L’approche de Dakar est attentive, la nuit est noire, nous savons que nous serons éclairés par la lune. Nous avons bien étudié les cartes et savons que nous pouvons rencontrer des embarcations peu éclairées. Deux vigies scrutent l’horizon et aident le barreur à se repérer entre les lumières des cargos, de la côte, des phares… et une curieuse embarcation qui se dirige vers nous… A 22h30, message de la marine nationale sur le canal 16 de la VHF, demandant à un voilier de s’identifier… Voilier qui a les mêmes coordonnées GPS que nous ! L’échange est courtois mais on nous demande nos 3 précédents ports, les passagers, notre destination, les contacts sur place et leurs coordonnées… et finalement on nous annonce qu’un officier va monter à bord !
Nous sommes au milieu de la baie de Dakar, sous voile, 23noeuds de vent, au près, essayant de distinguer les cargos au mouillage de ceux qui se déplacent… « Comment avez-vous l’intention de monter à bord ? – Nous allons mettre une embarcation à l’eau »
Et en effet, un semi rigide s’approche de nous, nous accoste et un officier monte à bord accompagné d’un militaire armé d’une grooooosse mitraillette !
Après quelques questions et un rapide coup d’œil sur notre cargaison de gilets de sauvetage, ils nous quittent très souriants et nous rappelleront même à la VHF pour nous remercier de notre coopération !
C’est bien gentil tout ça, mais il est presque minuit, nous sommes toujours aussi crevés, nous nous sommes éloignés de notre route… Nous arrivons 1h30 plus tard au mouillage de la baie de Hann, devant le Centre de Voile de Dakar (dites « C.V.D. »). Quelques réverbères le long du rivage nous laissent deviner les palmiers, il y a une dizaine de bateaux au mouillage. Nous pouvons nous coucher, nous sommes A U S E N E G A L .
En repensant aux jours que nous avons passés au Sénégal depuis cette arrivée de nuit, j’ai un sentiment de vertige. Nous avons été pris dans un tourbillon d’émotions (et donc de déséquilibres ;-) ) fait de sidération, d’émerveillement, de belles rencontres et de reconnaissance.
Nous avons rencontré des équipages sincères dont certains sont devenus des amis, des mamas courageuses et généreuses qui vivent de services rendus aux rares plaisanciers de passage (mama lessive, mama nougat, mama tissu, mama légumes…), nous avons découvert le CVD et son ambiance particulière… et nous avons vécu une expérience décoiffante dans le Saloum.
C’est assez difficile de mettre des mots sur ce passage qui me parait avoir duré une vie et qui marque sans aucun doute un tournant dans notre voyage.
Le Sénégal restera une parenthèse, une étape mémorable, même si pas toujours très confortable, dans notre année d’aventure !
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Débarquement en eaux troubles
Le premier jour nous devons rapidement aller à la douane, et à la police pour être en règle. Nous partons un peu précipitamment à 8h30 à terre avec une barque qui fait les navettes à heure fixe pour les bateaux au mouillage devant le CVD. A bord, Moussa et quatre hommes qui attendent sans impatience que nous soyons tous prêts, et qui nous aident à embarquer.
Nous retrouvons Caroline, du voilier Lolita, un Feeling 416 parti de Belle-île le même jour que nous et avec qui nous avions échangé quelques messages depuis quelques semaines !
Nous débarquons hagards sur la plage devant le CVD, sur un ponton décrépi ; la plage est jonchée de déchets, de bateaux qui ont l’air abandonnés ; l’eau est d’une couleur indéfinissable (grise ? verte ? marron ? orange ?) et des petits poissons morts flottent à la surface (nous comprendrons plus tard que les pécheurs qui n’ont pas vendu le fruit de leur pêche rejettent sur la plage les poissons du jour).
En passant une grille nous entrons dans le CVD : un espace indescriptible, constitué de plusieurs bâtiments : douches, bar, ateliers, logements… Les peintures ont été soignées mais visiblement laissées à l’abandon il y a un moment.
Caroline nous indique comment prendre un taxi pour la matinée afin qu’il nous mène aux bâtiments officiels qui sont assez distants l’un de l’autre, elle négocie le taxi pour nous et nous met dans le bain directement ! On s’enfourne dans le taxi à 6, nous découvrons Dakar : la conduite sénégalaise, les charrettes tirées par des chevaux, les déchets sur les trottoirs, des vendeurs ambulants partout…
Rentrés au CVD, nous nous connectons à Internet pour la première fois depuis 8 jours… et nous apprenons le décès du cher grand-père de Jérôme, Paddy, lorsque nous étions en mer. L’enterrement commence au moment où nous essayons de joindre les parents de Jérôme… La nouvelle ne nous surprend pas mais le chagrin est immense. Théophile insiste en nous disant que « c’est grave qu’il soit mort, Granny n’a plus de parents, c’est grave ! »
Quelle tristesse de ne pas pouvoir lui dire au revoir et pleurer avec les autres… Après avoir annoncé la nouvelle aux enfants, je pousse Jérôme à contacter nos assurances pour voir s’il n’y a pas de possibilité pour assister à l’inhumation le lendemain ! Je ne peux pas me résoudre à ce que le départ de Paddy se fasse sans nous !
Nous passons l’après-midi en apesanteur, abasourdis par la nouvelle, explosés de fatigue suite à notre navigation et à notre nuit courte, et dans l’attente sans trop vouloir y croire que nous pourrons rejoindre la France le lendemain. Il faut rappeler plusieurs fois les assurances pour avoir des réponses… Finalement l’assurance de la carte bleue a l’air de fonctionner, pour une personne seulement…
Les enfants zonent un peu dans cet « espace » qu’est le CVD, au milieu des équipages de français qui débarquent et avec qui nous faisons connaissance… Jérôme fait un aller-retour sur le bateau pour avoir un sac prêt au cas où l’assurance donne son feu vert !
Finalement, à 20h45 Jérôme a ses billets (merci Boursorama !) pour prendre un vol… à 1h du matin ! Il file en taxi à l’aéroport et nous rentrons, raccompagnés par un autre équipage. Le bateau est encore en vrac après la navigation, l’annexe n’est pas mise à l’eau, les voiles pas rangées, mon téléphone n’a toujours pas refait surface et nous n’avons pas de connexion ; nous nous retrouvons pour la première fois depuis 3 mois séparés de l’un d’entre nous (et pas n’importe lequel !) !
Pendant les 2 jours qui suivirent, nous avons fait l’objet de nombreuses attentions des bateaux autour de nous : Jacote, Aïmalaïa et Lolita. On me propose de me prêter un téléphone, de m’acheter du pain ; on me fait part des projets de plage ou de promenade, on s’organise des sorties... Je me sens entourée et choyée ; une nouvelle fois merci les amis !
La découverte de Dakar
Vendredi 8 novembre
Réveil sans Jérôme. Il faut reprendre la classe après la semaine de navigation. J’installe les enfants au travail avec entrain mais le vent s’est levé, le clapot rend le bateau inconfortable… Les enfants sont fatigués et pas très enthousiastes ! Le moral n’est pas sau top ! Je décide de profiter de la navette de 10h pour aller faire travailler les enfants à terre.
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J’ignore que le bar du CVD n’ouvre qu’à midi et que nous allons nous retrouver dehors pour travailler ! Qu’importe, Calixte s’installe sur la balançoire, Baptiste lit l’histoire de la littérature des Lumières et Joseph fait de la grammaire. Théophile doit constituer des quadrillages avec les bâtons qu’il trouve. Nous retrouvons en fin de matinée les 3 moussaillons de Lolita venus à terre pour jouer avec les garçons, et nous sommes invités à déjeuner à bord !
Nous convenons avec 2 autres équipages de nous retrouver sur la plage de Yoff, on nous promet une eau claire et de belles vagues ! Après près d’une heure de taxi (Dakar est noyé sous les embouteillages et les travaux) nous arrivons sur la plage. Quelques paillottes ont installés des terrasses et vendent des poissons grillés. La mer est haute, et les sportifs qui viennent s’entrainer tous les soirs sont obligés de nous raser pendant leur footing (en marche avant, en marche arrière, accroupis…) ; ils sont des centaines de jeunes à courir dans les deux sens.
On ne résiste pas à l’appel des vagues qui nous rappellent Donnant, même Théophile se fait fouetter en s’accrochant à moi ! Je plonge dans les vagues… et je ressors dégoutée car j’ai l’impression que l’eau dégage une forte odeur… pas très iodée !!
Nous vivrons sur la route du retour une nouvelle expérience avec les taxis de Dakar !
Nous nous répartissons dans deux taxis avec les Lolita. Celui qui nous embarque ne sait pas comment aller à notre destination. Malheureusement le taxi qui mène le convoi n'a plus de câble d'accélarateur... On croyait être dans les embouteillages, puis on s'aperçoit que c'est lui qui créé l'embouteillage ! Notre chauffeur s'excite au volant, lui dit de se mettre sur le côté, fouille dans son coffre pour trouver un accessoire à mettre sous le capot du taxi en panne... L4autre redémarre, accélère, ça marche !!! Ah non, il a du freiner, ça ne fonctionne plus... Notre chauffeur s'excite, on ne comprend pas un mot de ce qu'il dit, ils s'arrêteront une dizaine de fois pour faire des réparations de fortune... On apprendra plus tard que pendant que notre taxi jurait dans tous les sens et gesticulait pour faire avancer son collègue, le chauffeur de la voiture "lente" discutait paisiblement religion avec Hervé...
Chaque voyage en taxi aurait son anecdote !
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Il y aura ce taxi qui devait nous attendre à la sortie de la police de l’immigration… En sortant, nous ne voyons personne et apprenons par un gardien qu’il a cru que nous étions repartis sans lui. Nous ne l’avons pas payé, nous pensons donc qu’il va revenir nous chercher ! Jérôme part chercher une carte SIM avec Calixte et je poireaute au milieu du carrefour ; je vois passer des vendeurs ambulants de polos, de stylos, de mandarines, de boxer… Un vieil homme en traversant le carrefour se fait aborder par un vendeur de chaussures, s’arrête et essaye plusieurs paires pour finalement reprendre sa route sans avoir trouver « chaussure à son pied » (hihi).
Le taxi revient, s’excite en me disant que le gardien lui avait dit qu’on était partis sans lui ! A nous d’attendre Jérôme… Nous apprendrons en rentrant au CVD que le gardien nous a confondu avec une autre famille de blancs, que notre chauffeur de taxi les a coursés jusqu’à la douane, a débarqué en les insultant dans le bureau des douaniers en leur reprochant de ne pas l’avoir payé, et après 10mn d’échanges réalisera que cet équipage avait 3 filles… et nous 4 garçons ! (Poke Aïmalaïa ! Bienvenue à Dakar).
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Samedi 9 novembre : Sortie de Dakar
Je me résous à faire un bon coup de rangement et de ménage dans le bateau, quand Nathalie d’Aïmalaia m’appelle pour nous proposer de les accompagner voir la réserve de Bandia !
Nous sautons sur l’occasion, abandonnons les devoirs et le ménage… Baptiste puis Joseph vous racontent notre journée !
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La réserve de Bandia (Baptiste)
Après de chaudes heures de taxi plongés dans les rues et la banlieue de Dakar nous arrivons enfin à la réserve naturelle de Bandia. Nous avons négocié avec les conducteurs qu'ils resteraient au parking pendant la visite et nous reprennent après pour quelques francs de plus. Nous nous dirigeons alors vers le restaurant du parc où nous choisissons parmi de multiples plats une spécialité sénégalaise, de la pizza. Nous montons dans une voiture de safari avec notre guide Saliou, indispensable pour expliquer les mystères de la savane sénégalaise, et nous nous engageons sur les pistes avec notre pick-up de brousse.
Après 100m plongés dans une forêt peuplée d'acacias et de baobabs centenaires, nous rencontrons les autres habitants, nos cousins les singes, les autruches par dizaines, les élans de derby, les impalas nous attendaient à l'abreuvoir en troupeau, les zébus avec leurs cornes meurtrières et leur vitesse exceptionnelle, les antilopes cheval avec leurs corps de mustang et leurs têtes d'antilopes... au détour d'un chemin noyé sous les chants des oiseaux multicolores nous apercevons, les girafes, majestueuses du haut de leurs cous tachetés, dépassants cette épaisse étendue tropicale.
Puis, au sommet de cette aventure hors du commun, se présentèrent à nous, avec leur flegme, leur puissance et leur dignité, les 2 des 3 seuls rhinocéros du Sénégal. Nous nous dirigeons alors vers les féroces carnivores du parc. Nous trouvons les hyènes, allongées négligemment sur un tapis de plumes de poulets, après avoir vu les lentes et centenaires tortues. Les crocodiles se trouvaient assoupis, la gueule ouverte, au bord d'une rivière riche en poissons. Nous repartons Émerveillés de cette visite au coeur de la faune et la flore africaine.
Le village de M’Bour (Joseph)
Après avoir visité la réserve de Bandia, nous allons dans un village de pêcheurs. Avec nos taxis, nous quittons la route pour emprunter des chemins de sable à la recherche du village. Nous allons trop loin dans le village et nous cherchons la plage pour arriver à temps pour le débarquement des cargaisons de pêche. Mais la plage est pleine de pirogues vides, au repos, qui ne sont pas sorties ce jour-là car c’était la fête de la naissance du prophète Mohammed.
Nous avons vu beaucoup d’enfants qui couraient vers nous en criant « Toubab ! Toubab ! » ce qui veut dire « homme blanc » ; « Bonjour-comment-t-appelles-tu ? ».
Ils nous serraient la main, nous demandaient de l’eau. Je leur ai donné une bouteille. Certains enfants se fabriquaient des filets, les mettaient dans l’eau ; ils pêchaient aussi avec des bobines constituées avec un petite planche de bois. D’autres jouaient au foot.
Nous avons marché longtemps sur la plage, pleine de déchets : des tongs, des chaussures, des bouteilles, des bidons, des filets, des couches. Nous essayons d’estimer le nombre de pirogues, avec une pirogue tous les 1,50m, nous avons estimé qu’il y avait entre 500 et 1000 pirogues dans tout le village. 500 sur la plage, 500 au mouillage !
Puis nous sommes revenus en traversant le village, les maisons étaient un peu détruites ; les habitants étaient assis par terre devant leurs maisons. On croisait aussi des charrettes tirées par un cheval qui transportaient des gens, des planches de bois…
Il y avait beaucoup de chèvres blanches, le museau arrondi et la tête plate : tête de mouton et corps de chèvre ! Quand elles beuglaient, on aurait dit qu’elles vomissaient ! On en a même vu une qui venait juste de naître ! On l’a su parce que la queue de la mère était encore pleine de sang !
Puis on est revenus aux taxis mais les chauffeurs n’étaient plus là ! On a attendu en mangeant des beignets achetés sur le trottoir : des beignets salés (sardines, oignons) et des sucrés roulés dans la noix de coco en poudre !
Au bout d’une heure, les chauffeurs arrivent enfin et klaxonnent d’impatience pendant que nous mangeons ! Puis nous montons dans la voiture et nous demandons au chauffeur combien de temps nous mettrons pour rentrer. Et il nous répond « 2-3 heures ! »
Nous finirons par arriver 2 heures plus tard au CVD.
Ce qui m’a le plus plu ce sont les beignets !
Ce qui m’a le plus marqué c’est le village en lui-même ; je pensais que ça allait être plus moderne alors que là c’était très très pauvre.
Le dimanche nous retrouvons Jérôme et nous confions les enfants à Lolita qui les emmène passer une après-midi à la plage de la Voile d’Or, baie pas très loin de la baie de Hann mis beaucoup moins polluée...
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Grâce à Hervé et Caro de Lolita qui ont lié des liens forts avec les hommes du CVD, nous sommes invités à visiter l'école des enfants de Tapha dans la banlieue de Dakar.
L'accueil est très chaleureux et les instituteurs très heureux de nous montrer comment ils travaillent. Les enfants sont accueillis dans chaque classe, nous observons les leçons en cours : le paludisme, la grammaire, les maths...
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Je suis émerveillée de voir que ces enfants, qui ne parlent que wolof à la maison, apprennent à parler français en maternelle, et leur scolarité se déroulera en français ! Ici c'est en plus une école franco arabe, ils apprendront l'arabe dès le CP en plus !
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Nous accompagnons ensuite Tapha chez lui, il vit dans un immeuble où les familles partagent à chaque étage une pièce d'eau et font la cuisine sur des réchauds sur le palier. Sa maison, c'est une chambre avec un lit double pour les 3 enfants, un lit simple pour sa femme et son bébé de 1 an, et Tapha dort sur un matelas par terre... Les enfants observent en silence, et nous sentons qu'ils comprennent beaucoup de choses...
Après les derniers préparatifs, nous partons mardi 10 pour le Saloum, où nous sommes attendus pour notre missions avec Voiles sans Frontières.
Je rattrape ma lecture du blog... et donc un peu tard, je voudrais simplement vous exprimer mes profondes condoléances pour cette perte d'un être cher, et, quand même, chapeau à Jérôme d'avoir pu sauter dans un avion pour ce dernier adieu!
Un proverbe africain dit " Le vent agite les feuilles des arbres comme la mort secoue les hommes". Je ne sais pas si vous l'avez senti, mais au Sénégal la mort fait partie de leur quotidien, à tel point que cela en devient pour eux d'une banalité déconcertante.
On vous embrasse - AL